Le lichen, quand algue et champignon s'associent

8/23/202410 min read

Les lichens font partie des plantes à thalle et résultent d'une symbiose unique entre une algue (autotrophe) et un champignon (hétérotrophe). On compte plus de 20 000 espèces de lichens, qui se développent sur le sol, les troncs d'arbres et les roches. Adaptés à des conditions climatiques extrêmes, les lichens peuvent survivre à la sécheresse prolongée et à de grandes variations de température. On les trouve ainsi en bord de mer, dans les régions arides et polaires. Bien que leur croissance soit lente, leur longévité est remarquable (Fortin, 2007).

1. Structure des lichens

Le lichen est une association intime entre une algue et un champignon. Les filaments du champignon s'entrelacent autour des cellules de l'algue, formant le thalle (Goga et al., 2020).

L'algue (parfois remplacée par une cyanobactérie) produit de la matière organique. On compte environ 40 genres d’algues et de cyanobactéries formant cette association, dont la plus connue est l’algue verte (Chlorophyte). Les genres des cyanobactéries les plus représentés sont Trebouxia, Trentepohlia et Nostoc.

D'un autre côté, le champignon fournit l'eau et les sels minéraux nécessaires à l’algue et récupère la matière organique formée par cette dernière à l'aide d'un suçoir formé à l'extrémité de son filament. Le champignon joue aussi un rôle important dans la protection du lichen contre divers facteurs environnementaux comme l’exposition à la lumière intense du soleil et la dessiccation. En effet, le champignon est plus tolérant à ces facteurs grâce à la production de divers métabolites secondaires. La plupart des champignons formant le lichen font partie des Ascomycètes, des Basidiomycètes ou des champignons anamorphiques (forme reproductrice asexuée).

Récemment, les recherches ont montré que certains lichens peuvent former des symbioses avec trois partenaires ou plus, dont les levures qui peuvent s’ancrer dans le cortex du thalle du lichen (Goga et al., 2020).

Lichen - structure
Lichen - structure
Lichen - structure
Lichen - structure

Cellule de l'algue

Suçoir

Filament du champignon

Thalle

Structure du lichen

Source : Fortin (2007)

2. Types de lichens

Il existe trois principaux types de lichens selon la forme de leur thalle (Goga et al., 2020) :

1/ Lichens crustacés : forment une croûte qui adhère fortement au substrat et sont difficiles à retirer (exemple Lecanora argentata). Ces lichens poussent généralement sur des rochers ou des écorces et colonisent des habitats extrêmes, comme les substrats riches en métaux. Les espèces endolithiques sont un exemple extrême de lichen qui pénètre la surface d'une roche et expose seulement les fructifications (genre Bagliettoa) ;

Lichen crustacé - Lecanora argentata
Lichen crustacé - Lecanora argentata

Lichen crustacé

Lichen endolithique - Genre Bagliettoa
Lichen endolithique - Genre Bagliettoa

2/ Lichens foliacés : aspect de feuilles ou lames, ils adhèrent peu au support et sont séparés facilement. Généralement, le thalle est divisé en lobes plus ou moins ramifiés (genre Parmelia). Il peut aussi être formé d'un seul lobe non ramifié ou d'un multilobe à ramification limitée (genre Umbilicaria) ;

Lichen foliacé - Parmelia sulcata
Lichen foliacé - Parmelia sulcata

Parmelia sulcata

3/ Lichens fruticuleux : ont la forme d'un petit arbre fixé seulement par un petit point de contact. Le thalle peut pousser horizontalement ou verticalement (genre Cladonia) ou même pendre (genre Usnea). Les lobes sont généralement plats ou cylindriques, et leur ramification peut variée dans un même groupe ou genre de lichen.

Lichen fruticuleux - Pseudevernia furfuracea
Lichen fruticuleux - Pseudevernia furfuracea

Pseudevernia furfuracea

Il existe aussi d'autres catégories intégrées dans ces types (Goga et al., 2020) :

  • Lichen à thalles lépreux et crustacés, ayant une surface soit poudreuse, soit granuleuse (genre Lepraria) ;

  • Lichen possédant des bases squamuleuses et des structures fructifères nommées podetia (Cladonia macilenta) ;

Lichen - Cladonia macilenta
Lichen - Cladonia macilenta
  • Lichen à thalle gélatineux et foliacé (genres Collema, Leptogium et Lathagrium).

Lichen - Genre Lathagrium
Lichen - Genre Lathagrium

Genre Lathagrium

3. Rôles des lichens

Les lichens ont plusieurs rôles (Fortin, 2007) :

  • Dater les surfaces rocheuses ;

  • Indicateurs de pollution ;

  • Nourriture pour les animaux et les humains ;

  • Fabrication de colorants et de parfums.

4. Reproduction chez les lichens

Les lichens se reproduisent par fragmentation du thalle ou par reproduction sexuée.

Dans le cas de la reproduction sexuée, l’appareil sexuel du champignon libère des spores qui germent et donnent naissance à un nouveau champignon. Ce dernier rencontrera une autre algue partenaire pour former un nouveau lichen (Fortin, 2007).

5. Molécules actives des lichens

Les lichens, comme toutes les plantes, ont deux types de métabolites : les métabolites primaires (intracellulaires) et les métabolites secondaires (extracellulaires) (Goga et al., 2020).

Les métabolites primaires, liés aux parois cellulaires et aux protoplastes, comme les protéines, les saccharides, les acides aminés, les caroténoïdes et les vitamines. Ces métabolites peuvent être produits par l’algue ou le champignon (ou un autre partenaire dans le lichen) et sont souvent commun aux plantes.

Les métabolites secondaires, spécifiques aux lichens, sont des composés organiques produits exclusivement par le champignon. Ils présentent une grande diversité et jouent principalement un rôle de protection, permettant aux lichens de vivre dans des habitats extrêmes. Leur synthèse dans les lichens est ainsi influencée par plusieurs facteurs, comme le changement de la température, la lumière, l'exposition aux UV, les saisons, l'altitude et l'âge des lichens. Ces composés présentent plusieurs activités biologiques, leur procurant un intérêt pharmaceutique. La synthèse des métabolites secondaires se fait par trois voies principales :

Voie de l'acétyl-malonate

Cette voie permet la synthèse de plusieurs classes de substances :

* Dépsides : ce sont des molécules polyphénoliques, constituées de deux ou plusieurs unités aromatiques monocycliques reliées par une liaison ester. Les molécules de cette classe présentent généralement des activités antimicrobiennes, antioxydantes et anticancéreuses. Comme exemple de molécule, on trouve :

  • Acide évernique : a aussi une activité herbicide. Cet acide se trouve dans Evernia prunastri (mousse de chêne) ;

  • Acide lécanorique : présent dans le lichen Hypocenomyce scalaris ;

  • Acide gyrophorique : métabolite commun dans les espèces du genre Umbilicaria ;

  • Atranorine : se trouve dans le lichen Hypogymnia tubulosa (lichen tubuleux) ;

  • Acide thamnolique : a aussi montré une activité antituberculeuse. Cet acide se trouve dans le lichen Thamnolia vermicularis (icmadophile vermiculaire) ;

  • Acide umbilicarique : synthétisé par les lichens de la famille des Umbilicariaceae, comme Umbilicaria polyphylla (lichen foliacé ombiliqué).

Lichen - Umbilicaria polyphylla
Lichen - Umbilicaria polyphylla
Molécule lichénique - Acide umbilicarique
Molécule lichénique - Acide umbilicarique

* Depsidones : les depsidones de type Orcinol ont un groupe céto dans la chaîne latérale du premier anneau :

  • Acide protocétrarique : a des activités antimicrobiennes, antituberculeuses, antioxydantes, anticancéreuses et herbicides. Il est produit par Flavoparmelia caperata (lichen jaunâtre) ;

  • Acide fumarprotocétrarique : a des activités antimicrobiennes, antioxydantes, expectorantes et herbicides. Ce composé est présent dans le lichen Cetraria islandica (lichen d'Islande) ;

  • Acide physodique : a des activités antimicrobiennes et anticancéreuses. On le trouve dans Hypogymnia physodes (lichen chevelu) ;

  • Acide stictique : a des activités antioxydantes et anticancéreuses. Ce composé est synthétisé par le lichen Lobaria pulmonaria (lichen pulmonaire).

Lichen - Lobaria pulmonaria
Lichen - Lobaria pulmonaria
Molécule lichénique – Acide stictique
Molécule lichénique – Acide stictique

* Dibenzofuranes : ce sont des molécules organiques aromatiques hétérocycliques comportant deux anneaux de benzène fusionnés à un anneau central de furane :

  • Alectosarmentine : c’est une molécule relativement nouvelle identifiée dans le lichen Alectoria sarmentosa, et ayant une activité antibactérienne ;

  • Acide usnique : c’est une molécule lichénique très étudiée grâce à ses nombreux potentiels, tel qu’anticancéreux, antimitotique, hépatotoxique, anti-inflammatoire, analgésique, antiviral, anti-herbivore et anti-protozoaire. Grâce à ses propriétés, elle est utilisée dans les cosmétiques, les déodorants, les dentifrices et les crèmes médicales. Elle est produite par les lichens du genre Usnea.

Lichen – Genre Usnea
Lichen – Genre Usnea
Molécule lichénique – Acide usnique
Molécule lichénique – Acide usnique

* Chromones : ce sont des dérivés du benzopyrène avec un groupe céto substitué sur l'anneau pyranique :

  • Acide léprarique : présent dans le genre Lepraria, il peut être utilisé comme marqueur chimio-taxonomique.

Lichen – Genre Lepraria
Lichen – Genre Lepraria
Molécule lichénique – Acide léprarique
Molécule lichénique – Acide léprarique

* Xanthones : les xanthones lichéniques, contrairement aux fongiques, possèdent un ou plusieurs substituants de chlore nucléaire :

  • Norlichexanthone : ce composé, présent chez Lecanora symmicta, peut inhiber les kinases ;

  • Acide thiophanique : possède une activité fongicide et un effet allélopathique. On le trouve dans le lichen Lecidella elaeochroma.

Lichen – Lecidella elaeochroma
Lichen – Lecidella elaeochroma
Molécule lichénique – Acide thiophanique
Molécule lichénique – Acide thiophanique

* Anthraquinones : ce sont des composés phénoliques basés sur le squelette 9,10-anthraquinone. Ils sont des composés pigmentés qui agissent également comme des filtres de lumière. Ils ont plusieurs potentiels comme antitumoraux, anti-inflammatoires et bactéricides. Ces substances sont typiques des membres de la famille des Teloschistaceae au sein des genres Caloplaca, Teloschistes et Xanthoria:

  • Pariétine : c'est un pigment orange répandu dans les lichens vivant dans les habitats exposés au soleil, jouant ainsi un rôle dans la protection contre les niveaux élevés de lumière ;

  • Emodine : a des activités antivirales et anticancéreuses.

Lichen – Xanthoria elegans
Lichen – Xanthoria elegans
Molécule lichénique – Emodine
Molécule lichénique – Emodine

Voie du mévalonate

Cette voie permet la synthèse de plusieurs classes de molécules :

* Terpènes : c’est une classe importante et vaste, formée de composés synthétisés à partir d'unités de pyrophosphate d'isopentényle :

  • Limonène : se trouve dans les huiles essentielles des lichens comme Evernia prunastri (mousse de chêne) et Evernia divaricata (évernie du chêne), procurant une activité antimicrobienne ;

  • Phytol : ce composé, présent dans Anaptychia ciliaris, a une activité antimycobactérienne ;

  • Zéorine : ce composé, présent dans Protoparmeliopsis muralis (lécanore des murs), a une activité antimicrobienne.

Lichen – Protoparmeliopsis muralis
Lichen – Protoparmeliopsis muralis
Molécule lichénique – Zéorine
Molécule lichénique – Zéorine

* Stéroïdes : ces composés sont très présents dans les lichens. Ils ont un intérêt en médecine grâce à leurs propriétés antimicrobiennes, anti-inflammatoires, antiulcéreuses et antirhumatismales :

  • Ergostérol : considéré comme un marqueur de l'activité métabolique du champignon. Il est synthétisé dans des lichens comme Physcia stellaris (lécide étoilée) ;

  • Brassicastérol : connu dans les plantes supérieures et dans quelques lichens comme l'extrait de Stereocaulon azoreum ;

  • Lichestérol : se trouve dans des lichens comme Usnea longissima (barbe de vieux homme), Lobaria scrobiculata (loberie à côtes), Ramalina africana (licorne de l'Afrique) et Xanthoria parietina (parmélie des murailles).

Lichen – Xanthoria parietina
Lichen – Xanthoria parietina
Molécule lichénique – Lichestérol
Molécule lichénique – Lichestérol

* Caroténoïdes : ce sont des métabolites primaires, produits dans le lichen par les champignons et les algues (ou la cyanobactérie). Ce sont des molécules linéaires à multiples doubles liaisons conjuguées, présentes dans tous les organismes photosynthétiques.

Quand le lichen est formé d’une association avec des algues vertes, on trouve les caroténoïdes : beta-carotène, lutéine, violaxanthine, anthéraxanthine, zéaxanthine et néoxanthine.

Quand le lichen est formé d’une association avec des cyanobactéries, on trouve principalement du beta-carotène, de la zéaxanthine, de la canthaxanthine et de l'échinénone :

  • Beta-carotène : présent dans les lichens comme Physconia distorta (lichen des arbres) ;

  • Lutéine : se trouve principalement dans les plantes supérieures, mais également dans les lichens habitants des endroits près de l’ombre, comme Ramalina farinacea (ramaline farineuse) ;

  • Zéaxanthine : présent dans Pleurosticta acetabulum (lichen à coucou).

Lichen – Pleurosticta acetabulum
Lichen – Pleurosticta acetabulum
Molécule lichénique – Zéaxanthine
Molécule lichénique – Zéaxanthine

Voie du shikimate

Voie utilisée seulement par les microorganismes et les plantes pour la synthèse des composés aromatiques, en particulier les acides aminés aromatiques et leurs dérivés :

* Terphénylquinones : dans cette classe, seulement deux molécules sont connues :

  • Acide polyporique : possède une activité anti-leucémique quand il a été isolé du lichen Sticta coronata (liche couronnée) ;

  • Acide théléphorique : possède une activité antioxydante et un effet sur la maladie d'Alzheimer. On le trouve dans les lichens du genre Thelephora et Hydnum.

Molécule lichénique – Acide théléphorique
Molécule lichénique – Acide théléphorique

* Dérivés de l'acide vulvinique :

  • Acide vulpinique : possède des activités anticancéreuses, anti-insecticides et antioxydantes. Il est présent dans des lichens comme Vulpicida pinastri (lichen des pins) et Letharia vulpina (lichen de queue de renard) ;

  • Acide pulvinique : cet acide, présent chez Candelariella vitellina (lichen jaune), a montré une activité antioxydante.

Lichen – Candelariella vitellina
Lichen – Candelariella vitellina
Molécule lichénique – Acide pulvinique
Molécule lichénique – Acide pulvinique

Sources :

Livre : Fortin Jacques (2007). Les Plantes - Comprendre la Diversité du Monde Végétal, pages 16-17. Les Éditions Québec Amérique inc.

Chapitre de livre : Goga, M., Elečko, J., Marcinčinová, M., Ručová, D., Bačkorová, M. & Bačkor, M. (2020). Lichen metabolites: an overview of some secondary metabolites and their biological potential, pages 175-209. Mérillon J.-M. & Ramawat K. G. (eds.), Co-evolution of secondary metabolites, Springer Nature Switzerland.