La sûreté des huiles essentielles
Risque de toxicité et conseils d’utilisation
Depuis des millénaires, les plantes aromatiques et médicinales ont joué un rôle essentiel en médecine traditionnelle à travers le monde. Leur utilisation varie, allant de la plante brute fraîchement récoltée aux extraits et produits de distillation, notamment les huiles essentielles. Ces huiles sont administrées de différentes manières - orale, topique ou inhalation - dans le cadre de l'aromathérapie, qui vise à améliorer la santé physique et morale, ainsi que l'hygiène.
En thérapie, les huiles essentielles possèdent diverses propriétés, les rendant utiles contre diverses affections, notamment les maladies infectieuses, les maladies cardiovasculaires, l'ostéoporose, le diabète de type 2 et le cancer. Comme exemples des huiles essentielles ayant montré des succès cliniques, on trouve :
L’huile de safran des Indes ou curcuma (Curcuma aromatica) dans le traitement du cancer du foie ;
L’huile de menthe poivrée pour la maladie du côlon irritable ;
L’huile d'arbre à thé pour le traitement du pied d'athlète (tinea pedis) ;
L’huile de lavande contre l'anxiété.
Cependant, leur utilisation nécessite une compréhension approfondie, car les huiles essentielles peuvent agir à la fois comme remèdes et toxines, en fonction de divers facteurs tels que l'huile utilisée, sa concentration, la sensibilité individuelle et d'autres considérations. Tisserand et Young (2014) rapportent dans ce livre un grand nombre des huiles et composants et discutent leur risque de toxicité.
1. Risque de toxicité des huiles essentielles
Le pouvoir thérapeutique des plantes médicinales et de leurs huiles essentielles repose sur leur toxicité envers les organismes indésirables comme les bactéries, les virus, les champignons et les poux. Cependant, elles peuvent également affecter les cellules humaines, causant ainsi un risque de toxicité. Heureusement, la majorité des organes possèdent une grande capacité à se rétablir.
La toxicité des huiles essentielles est due à la toxicité de leurs composants, surtout majoritaires. Ainsi, les phénols peuvent causer des irritations fréquentes, les aldéhydes et les lactones sesquiterpéniques peuvent provoquer des réactions allergiques sur la peau, certains éthers sont connus pour être cancérigènes et certaines cétones monoterpénoïdes bicycliques peuvent être neurotoxiques. Par exemple, la toxicité de l’huile d’absinthe est principalement due à sa teneur élevée en thujone.
Cependant, il est souvent difficile de prédire la toxicité des huiles essentielles, car leur composition complexe permet la présence à la fois de molécules bénéfiques et d’autres nocives, qui peuvent avoir une relation d’addition, de synergie ou d’antagonisme, influençant ainsi la toxicité finale des huiles essentielles.
En plus des paramètres d'utilisation des huiles essentielles (figure), il est crucial de prendre en compte l'état de santé global de la personne, les interactions médicamenteuses et les conditions environnementales qui influencent la toxicité.
Les huiles essentielles dangereuses, comme la moutarde et le calamus, ne sont pas largement utilisées en thérapie. Toutefois, certaines huiles fréquemment utilisées peuvent présenter un danger, comme la citronnelle (risque de malformations), la bergamote (phototoxicité) et l'ylang-ylang (risque de sensibilisation de la peau).
La voie d'administration influence également la toxicité, avec la voie cutanée considérée généralement comme la moins risquée. La consommation orale, en particulier chez les enfants, présente des risques accrus. L'inhalation peut entraîner une neurotoxicité (comme dans le cas du thujone et pinocamphone).
Les molécules absorbées dans le corps sont distribuées et métabolisées pour être détoxifiées ou dans certains rares cas, rendus plus toxiques. Une accumulation à long terme dans les tissus peut survenir, même si elle est improbable aux doses thérapeutiques. Les molécules sont éliminées du corps par le système urinaire, dans les selles, l’air expiré et même à travers la peau.
La moutarde
2. Conséquences de la toxicité
En cas d’intoxication, les premiers symptômes comprennent une irritation des muqueuses, des douleurs épigastriques, des vomissements et de la diarrhée. On note des effets sur :
Les réactions cutanées dues aux huiles essentielles sont parmi les plus fréquentes, et sont de trois types :
Irritation : c'est une réponse inflammatoire susceptible de causer des dommages réversibles, illustrée par des exemples tels que l'huile de raifort et l'huile de moutarde.
Sensibilisation : cette réaction, la plus répandue, est favorisée par l'irritation, réduisant la fonction « barrière » de la peau. Il s'agit généralement d'une réaction d'hypersensibilité retardée se manifestant par une éruption cutanée. Des exemples incluent l'huile de costus et l'huile d'écorce de cannelle.
Photosensibilisation : c'est une réaction cutanée déclenchée en présence d'un produit chimique phototoxique exposé à la lumière ultraviolette de la gamme UVA. Cela conduit à la formation d'espèces réactives de l'oxygène et à des dommages chroniques causés par le soleil. Les agents phototoxiques les plus courants sont les furanocoumarines, comme le bergaptène, pouvant être phototoxiques même à des concentrations très faibles.
2.1. La peau
Les huiles essentielles sont couramment utilisées sous forme de vapeur ou en tant que pommade à friction sur la poitrine pour atténuer les symptômes des affections respiratoires. Cependant, certaines d'entre elles peuvent entraîner une irritation des yeux et des voies respiratoires, en particulier chez les enfants et les personnes âgées. Étudier cette toxicité pose des défis, d'autant plus que de nouveaux composés peuvent se former dans l'atmosphère.
Parmi les composants reconnus pour leur caractère irritant, on trouve les monoterpènes tels que l'α-pinène, le β-pinène, le δ-3-carène et le (+)-limonène. Notamment, la périlla est la seule huile essentielle soupçonnée de provoquer une toxicité pulmonaire. La durée de l'exposition, la concentration et la présence d'ozone sont des facteurs cruciaux influant sur la toxicité des composants des huiles essentielles.
2.2. Le système respiratoire
Certaines huiles essentielles peuvent avoir des effets sur le cœur, provoquant un rythme cardiaque irrégulier (comme dans le cas de l’huile de la tanaisie), une accélération du rythme cardiaque (associée à la gaulthérie), un collapsus cardiovasculaire (lié à l'eucalyptus) et une insuffisance cardiaque congestive (en cas d'utilisation excessive d'absinthe). Les huiles, en général, représentent un réel danger pour le cœur uniquement en cas de surdosage.
Des huiles essentielles, comme l'hysope et le romarin, sont connus pour augmenter la pression sanguine. Cependant, il n'y a actuellement aucune preuve tangible démontrant qu'une huile essentielle peut aggraver l'hypertension ou l'hypotension lorsqu'elle est utilisée en aromathérapie.
Certaines huiles peuvent attaquer les globules rouges, telles que l'huile de Casearia sylvestris (ou Guaçatonga) tandis que d'autres peuvent inhiber l'agrégation plaquettaire, comme c'est le cas de l'ail et de l'oignon.
De plus, certaines huiles peuvent influencer la concentration sanguine du glucose, par exemple, l'écorce de cannelle, le géranium et la mélisse.
2.3. Le système cardiovasculaire
Certaines huiles essentielles provoquent des lésions rénales en cas de surdose.
Selon les données extrapolées des rongeurs, il est suggéré que les huiles de raifort, de moutarde (isothiocyanate d'allyle) et de goudron de bouleau (crésols) peuvent causer des dommages aux reins humains sains lorsqu'elles sont administrées à des doses thérapeutiques.
2.4. Le système urinaire
En cas de surdosage, les huiles essentielles peuvent parfois entraîner une irritation ou une inflammation de la muqueuse gastro-intestinale lorsqu'elles sont administrées par voie orale ou rectale. Un exemple illustratif est l'huile du thé du Mexique (Chenopodium ambrosioides). La concentration en huile essentielle joue donc un rôle crucial, tout comme la dose totale et la fréquence d'exposition.
2.5. Le système digestif
Thé du Mexique
Les constituants des huiles essentielles peuvent aussi causer une hépatotoxicité. L'eugénol, le (E)-anéthole et le salicylate de méthyle sont considérés comme hépatotoxiques, bien que cela ne se produise qu'à des doses bien supérieures à celles utilisées à des fins thérapeutiques. L'eugénol et le thymol à des doses modérées agissent comme hépatoprotecteurs.
Une substance neurotoxique peut interférer avec la structure et/ou la fonction des voies, circuits et systèmes neuronaux. Ceci peut provoquer des perturbations temporaires réversibles ou permanentes irréversibles dans la coordination motrice, la fonction cognitive, l’humeur ou le sommeil.
L'irritation sensorielle représente également une forme de neurotoxicité qui implique une altération de la fonction neurologique.
L'huile du thé du Mexique (Chenopodium ambrosioides) est reconnue comme étant très neurotoxique.
Certains composants des huiles essentielles peuvent être convulsivants (causant des convulsions ou crises), tandis que d'autres agissent comme des anticonvulsivants. Il n'est pas rare qu'une huile essentielle renferme ces deux types de molécules en opposition, comme c'est le cas avec l'huile de lavandin, qui contient à la fois le linalol (anticonvulsivant) et le camphre (convulsivant).
2.6. Le système nerveux
Les constituants des huiles essentielles peuvent affecter le système reproductif en imitant ou en contrariant les actions des hormones reproductives.
Les études sur le système reproducteur masculin ne montrent aucun risque grave associé à l'utilisation des huiles essentielles. Aucun effet indésirable n'a été observé dans le contexte de l'aromathérapie en relation avec la contraception orale ou l'hormonothérapie substitutive.
Pendant la grossesse, de nombreux composants peuvent atteindre l'embryon ou le fœtus, bien que cela n’indique pas forcement la présence d’un risque.
Il n'existe aucune preuve étayant le fait que l'application externe d'huiles essentielles présente un risque abortif. De plus, les huiles essentielles réputées abortives inhibent plutôt qu'induisent les contractions utérines. Dans ces cas, l'avortement résulte probablement de la toxicité maternelle liée à l'ingestion de doses toxiques, souvent proches de doses mortelles. Bien que l'huile de menthe pouliot n'entraîne pas un risque élevé d'avortement, son utilisation est restreinte en raison de son potentiel hépatotoxique.
2.7. Le système reproductif
Certaines huiles essentielles, par le biais de molécules telles que le thymol, le carvacrol, l'eugénol, entre autres, stimulent les défenses de l'organisme et le protègent contre les constituants cancérigènes en raison de leur action antioxydante. Par ailleurs, certaines huiles exercent une action chimio-préventive en inhibant une ou plusieurs étapes de la cancérogenèse, à l'instar de l'huile de camomille bleue et de lavande.
Cependant, d'autres huiles peuvent agir comme cancérogènes complets, initiant et favorisant le développement de tumeurs, notamment l'α-asarone, la β-asarone, l'estragole, le méthyleugénol et le safrole. Certaines molécules ne sont que des promoteurs.
L'effet de ces substances cancérigènes est déterminé par le seuil utilisé et l'interaction avec d'autres constituants des huiles, pouvant favoriser ou non le développement tumoral.
2.8. Le cancer et le système immunitaire
3. Recommandations pour diminuer le risque de toxicité
Pour minimiser les risques, il est essentiel d'évaluer la qualité des huiles essentielles, d'analyser leur composition, et de connaître leur origine botanique.
Le stockage adéquat des huiles essentielles est important pour éviter leur dégradation, qui peut augmenter leur toxicité.
En cas de massage par les huiles, il est recommandé de les diluer avant utilisation. Il faut aussi prendre en considération des pratiques qui améliorent l'absorption cutanée des huiles essentielles comme la chaleur, le massage, l'hydratation préalable de la peau et le revêtement de la peau après le massage.
En cas de prise orale des huiles essentielles, il faut éviter les surdoses surtout due à l’ingestion par les enfants (boire directement du flacon). L’étiquetage correcte et l’intégration dans les bouteilles de distributeurs compte-gouttes (ou des fermetures de sécurité) peuvent permettre de diminuer les cas de toxicité.
En cas d’inhalation des huiles, il faut vérifier que les patients n’ont pas d’asthme ou une sensibilité chimique multiple ou autres problèmes pulmonaires qui peuvent augmenter le risque de toxicité. L’irritation des voies respiratoires peut être minimisée par une ventilation et une humidité adéquate dans l’environnement de traitement.
Les enfants et les personnes âgées peuvent être plus sensible à l’action des huiles essentielles.
Les personnes sous traitement doivent être prudentes en cas d’utilisation des huiles essentielles, car ces dernières peuvent affecter le métabolisme et l’effet des médicaments
Durant la grossesse, il est recommandé d’éviter certaines huiles essentielles qui peuvent présenter un risque.
En conclusion, les huiles essentielles sont des alliées précieuses en thérapie, mais leur utilisation nécessite une approche informée. Un examen approfondi de chaque huile et la consultation d'un professionnel de la santé sont recommandés pour maximiser les bienfaits tout en minimisant les risques potentiels.
Source :
Livre : Tisserand Robert & Young Rodney (2014). Essential oil safety. A guide for health care professionals, Elsevier, Second Edition. ISBN 978-0-443-06241-4
Source images :
Livre : Ben-Erik van Wyk & Michael Wink (2017). Medicinal Plants of the World. CABI, Second Edition. ISBN 978-1-78639-981-6
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